Raymonde
A l’angle de ma rue se trouve un vieil immeuble
Où demeure une veuve en un triste logis
Sans confort,cafardeux, avec de pauvres meubles
Chargés de bibelots et de portraits jaunis
Ici pas de cuisine, un simple évier en pierre
un vieux réchaud à gaz au fond d’un noir cantou
Un petit poêle à bois aux senteurs forestières
Et un garde-manger servant de fourre-tout
Une chambre exiguë avec pour la toilette
Un lavabo sur cour, repaire de pigeons
Une pièce de vie au papier-peint noisette
Rendue blafarde par l’éclairage au néon
Posée sur une chaise auprès de la fenêtre
Se tient Raymonde âgée de quatre vingt dix ans
Elle n’en bouge pas car ses grands yeux de hêtre
Immobiles, abîmés, sont presque non voyants
Mais elle reconnaît les ombres familières
Des voisins et amis passant sur le trottoir
Ils rythment ses journées de façon coutumière
Sortes d’horloges humaines allant de l’aube au soir
Parfois ces gens d’entour viennent faire causette
La rendant porte-clefs des secrets du quartier
Ils lui offrent une fleur, un fruit, une chouquette
Ou un chocolat chaud, cadeau du cafetier
Malgré cette empathie elle se sent bien seule
Albert, son compagnon, au ciel s’en est allé
Elle n’a pas d’enfants et Thaïs sa filleule
Demeure à trente lieues dans un bourg isolé
Elle n’a plus de chats depuis plusieurs années
Rester sur ses genoux leur devenait lassant
Mais deux canaris blancs en cage laitonnée
Apportent un peu de joie dans ce décor navrant
Je vais souvent la voir pour gérer sa misère
Désennuyer son temps, sauver ses souvenirs
Lui demander conseil comme à une grand-mère
Ou lui prendre la main juste pour la chérir
Lors de ces entrevues parfois elle s’épanche
Et déroule sa vie comme dans un roman
Mêlant le rêve au vrai, les jeudis aux dimanches
Ses récits sublimés sont des bijoux charmants
Las Raymonde n’est plus que flamme vacillante
Son moral en déclin et son cœur chancelant
Font qu’elle n’a plus goût pour se tenir vivante
Elle aimerait partir vers le lieu consolant
Alors à quoi bon vivre au-delà de ses forces
Lorsque l’on a atteint son terme corporel
Un arbre peut mourir sans sève en son écorce
Mais ses racines restent, il est intemporel
Renaud MAUGEY le 20 juillet 2020
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