Chez Suzette
Sur la place de mon village
Se trouve un bistrot d’autrefois
Un lieu de vie et de partage
Où l’on se sent comme chez soi
La devanture est en vieux chêne
Et la porte à petits carreaux
Est coiffée de roses silènes
Servant de logis aux oiseaux
L’enseigne indique «chez Suzette»
Elle est la fille du patron
Elle a de bien jolies mirettes
Et de longs cheveux de blé blond
Tôt le matin Roger, son père
Fait l’ouverture du bistrot
Son bar est le lieu qui fédère
Celles et ceux qui vont au boulot
Roger connaît bien tout le monde
Il est l’ami, le confident
Il a une belle faconde
Il est toujours accommodant
Près de lui la chatte Minette
Sur le zinc du matin au soir
Miaule en cherchant de la tête
Les câlins des gens du comptoir
Elle est de nous tous la mascotte
La caresser est un honneur
Et tout chaland poussant la porte
Veut toucher ce porte-bonheur
Passée la fièvre matinale
J’arrive dans l’estaminet
J’ai mon endroit où je m’installe
D’où j’observe avec intérêt
Comme ici l’on est en Corrèze
Je bois inéluctablement
De la Salers ou de l’Avèze
Il ne peut en être autrement
Je vois Suzette qui s’agite
Pour servir et puis badiner
Pendant que Roger aux marmites
Nous mitonne un bon déjeuner
Je vois les clients d’habitude
Ceux qui sont présents chaque jour
Pour fusionner leurs solitudes
Avec leurs potes d’alentour
Ils se succèdent en une ronde
De fidèle fraternité
Et de leur entente féconde
Naît de la solidarité
Je les connais chacun, chacune
Ils font un peu partie de moi
Leurs succès ou leurs infortunes
Font ma joie ou mon désarroi
Je vois tout d'abord Pierre-Auguste
Du village le boulanger
Il apporte le pain tout juste
Sorti du four, craquant, léger
Je vois Céline l’infirmière
Prendre un café entre deux soins
Avec Jeanne la teinturière
Et Raymond l’un de mes voisins
Je vois Jeannot le garagiste
Baptiste et Thiénot les facteurs
Marie-Cécile la fleuriste
Charly et Paul les éboueurs
Je vois Léon et Valentine
Un joli couple d’amoureux
Se lover près de la vitrine
Pour s’embrasser à qui mieux-mieux
Je vois Albert un pauvre hère
Gommer sa vie et ses soucis
Dans des ivresses mensongères
Faites de bière et de gâchis
J’entends Marcel ancien artiste
Déclamer du François Villon
Pendant que Jade instrumentiste
L’accompagne à l’accordéon
Je vois les clients de passage:
Représentants, prolos, bourgeois
Des jeunes, des vieux, des sans âge
Des énigmatiques parfois
J’entends aussi des messes basses
Des confidences, des ragots
Des histoires tristes ou cocasses
Comme un vocal dazibao
J’entends des verres qui se choquent
Entre collègues, amis, copains
Et un pochard qui soliloque
En se faisant des baisemains
Je vois ainsi l’espèce humaine
Ses qualités et ses défauts
De la bonne et moins bonne graine
Des gens bizarres ou comme il faut
Mais je vois surtout des visages
Divers, touchants et chaleureux
Qui dans ce bistrot de village
Font que je m’y sens bien heureux
Renaud MAUGEY le 7 août 2017
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